Vous dites que c'est la crotte de mon
chien? Prouvez-le, faites un test ADN.» Une propriétaire
récalcitrante |
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amasser
oui, mais quand c'est solide. Et bien moulé. «Comment faire quand
elle est liquide? Je suis une Parisienne de toujours, j'aurais trop
honte!», s'inquiète la maîtresse de Toutoune. «Pour les
propriétaires de chien, l'angoisse c'est la colique. Mais, dans ce
cas, on ne verbalisera pas, on est des humains! Pareil pour les
urines», précise Christine, éducatrice canine.
Lundi, 8 heures. La première phase de la révolution anticrotte de
Bertrand Delanoë bat son plein sur la très chic avenue de Breteuil
(VIIe arrondissement). Des agents de la propreté, escortés
d'éducateurs, distribuent ce matin-là des prospectus intitulés
«J'aime mon quartier, je ramasse». Depuis la mi-octobre, une
centaine de distributeurs de sacs en plastique ont été placés aux
abords des sites les plus souillés. Objectif: inciter à la collecte
des seize tonnes de déjections que les 200 000 chiens de la capitale
posent chaque jour dans les rues. Une pollution à l'origine de plus
de 600 glissades annuelles dont certaines se terminent à l'hôpital.
Et d'un ras-le-bol massif des Parisiens sans chien.
«Ridicule». Sur le trottoir, Abdessattar, inspecteur de la
salubrité, explique au propriétaire d'un élégant lévrier: «On
prend le sac, on met la main dedans, comme dans un gant, on ramasse,
et hop! On le retourne et on referme.» «Ridicule!»,
persifle une dame tirée au pas de course par deux caniches noirs
survoltés.
En 2002, le ramassage sera obligatoire partout, même dans le
caniveau. Et la répression impitoyable. «C'est la seule solution,
testée avec succès à New York, Londres ou Bruxelles, explique
Yves Contassot, l'adjoint à la propreté de la ville de Paris. Dès
la mi-février, après la bascule de l'euro, nous lancerons une grande
campagne d'information. Et je serai doté d'une force de dissuasion
de 2000 contractuelles. Un article de la nouvelle loi sur la
sécurité quotidienne leur donne le droit de verbaliser toutes les
infractions à la salubrité. Le regard des passants sera en leur
faveur tant la demande sociale est forte.» Il calcule: «A
1200 francs le PV, au kilo, ça fait la crotte plus chère que le
caviar.» Pour les récidivistes, le tarif atteindra 3000 francs.
Les maîtres y voient un prélèvement déguisé. «C'est plus
facile de nous menacer car on est solvables! Avec nos impôts locaux
on paye bien des gens pour ramasser les feuilles...», proteste
Elisabeth, propriétaire de Russel, un Jack Russel. Cette jeune
analyste financière a déjà eu maille à partir avec la brigade
anticrotte. Alors que les caniveaux seront interdits en 2002 par
modification de l'article 99-6 du règlement sanitaire départemental,
la pelouse centrale de l'avenue de Breteuil l'est déjà. C'est là
qu'Elisabeth s'est fait prendre: «Ils ont surgi de derrière un
arbre et m'ont traitée comme une hors-la-loi! Vous dites que c'est
la crotte de mon chien? Prouvez-le, faites un test ADN.» Son
voisin a aussi choisi un Jack Russel parce que ce petit animal
«en fait des toutes petites». Logique.
Choix. Dans les enquêtes approfondies réalisées par la
mairie de Paris, de nombreux maîtres déclarent préférer leurs chiens
aux êtres humains. Beaucoup assurent que, depuis l'arrivée de la
gauche à l'Hôtel de Ville, les motocrottes évitent leur quartier.
«C'est une décision politique!», suspectent-ils. «Le
contrat des motocrottes court jusqu'en 2004, mais elles ne ramassent
que 20 %, rappelle Yves Contassot. On a le même niveau de
déjection dans les quartiers riches et pauvres.»
Compréhension. Cette première campagne évite pourtant les
arrondissements populaires. «Maintenant dans la famille, tout le
monde ramasse. J'ai prévenu mes fils, si vous prenez une prune, ce
sera pour votre poire!», vocalise Catherine, la quarantaine.
Elle a pris le pli dès l'adoption de son labrador. Ça ne fait pas
d'elle un soutien ardent de la verbalisation: «C'est plus facile
d'aller au-devant de maîtres de chien placides que de bandes de
jeunes plus ou moins arrosés ou sniffés.»
Avenue de Breteuil, si la plupart des maîtres reconnaissent la
nécessité de laisser le trottoir propre, l'interdiction du caniveau
passe mal. «Ils ne sont nettoyés qu'une fois par jour, il y a les
odeurs», rappelle un éducateur. «Et le tout part dans les
égouts, après il faut retraiter», plaide en vain un agent de la
propreté. «Avec Chirac, c'était: apprenez-lui le caniveau. Avec
Delanoë, il faut tout ramasser! Et pour les chiens d'aveugle,
comment il faut faire? Mettre une clochette à la crotte?»,
s'insurge un retraité. «Au final, ce sont les chiens qui vont
payer. A ce prix-là, la SPA va avoir des candidats. Plutôt que de
ramasser ils préféreront s'en débarrasser», regrette la
maîtresse de Jinny, un doberman de «92 ans» qui porte deux
chandails à cause de son arthrose.
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